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Jean Daviot, Écritures de lumière. ()

Dans ton travail il y a des mots-clés qui sont récurrents et que nous aimerions évoquer et commenter avec toi. « Captation », tout d’abord : la captation de la présence, de la lumière, d’ombres, d’empreintes du corps. S’agit-il d’une forme d’enregistrement et de mémoire propre à la peinture ?

Le geste fondateur dans la mythologie des origines de l’art est lié à une histoire de captation, c’est Pline qui la raconte : la fille d’un potier, Butades de Sicyone, a passé la nuit avec son amant qui doit partir le lendemain matin au combat. La jeune femme amoureuse n’accepte pas cet éloignement. Avant le départ de son compagnon, elle retire du feu qui éclaire la pièce un morceau de charbon de bois et trace son l’ombre avec la braise sur le mur de sa chambre. Elle veut fixer sa présence, dans l’espoir de pérenniser un instant qu’elle désire éternel. Cette trace matérielle de l’absence libère de la perte en extériorisant par un trait le contour du souvenir, c’est un deuil par l’oeil. En peinture, chaque geste, chaque mouvement s’inscrit dans la trace du pinceau, la captation de lumière et de mouvements des corps est constitutif de la photographie et du cinéma ; chaque support a sa spécificité mais tous permettent cet enregistrement de l’absence qui se transmute par l’oeuvre en présence. C’est ce que je poursuis dans mon travail depuis les ombrographies, qui sont des captations d’ombres, aux écritures de lumière où je fixe la lumière par le geste de ma main avec une caméra vidéo. Ma génération à moins de problèmes avec la diversité des supports : j’utilise celui qui me paraît le plus approprié.

Autre mot-clé, le « trou ». Dans les séries Silence, Souffles, Peinture de guerre, entre autres, les images ne s’inscrivent pas dans le cadre de la toile mais dans un cercle qui est celui de ton visage. Le rond de ton visage devient le trou, le vide à travers lequel apparaissent des images, des gestes, de « voix visibles ». Le trou prend donc la place de ton visage qui nous donne un regard, une identité. Parfois à l’intérieur, il y a des bouches ou des sexes féminins, c’est-à-dire encore des trous. D’une certaine manière, ils semblent se substituer à l’idée de la toile comme fenêtre ouverte sur le monde extérieur, à l’idée du mur comme surface disponible non déterminée.
Est-ce que le trou est un espace autre par rapport à celui du tableau ? Un espace moins rationnel par rapport à celui de la perspective, un espace aussi psychologique, définit par ce que, à travers Lacan, tu appelles le « troumatisme » ?

Tout commence et tout fini dans un trou. C’est pour cela que nous avons besoin d’art pour atténuer ce troumatisme ; L’Art, c’est un supplément de désir.
Dans le mot fenêtre qui fait d’ailleurs aussi trou, j’entends le son : fais naître : l’oeuvre doit permettre la naissance d’un nouveau regard. Elle est ouverture, c’est en ce sens qu’elle dépasse le simple espace de l’image. Elle met en mouvement par la vision la mémoire de l’oubli. C’est un oubli constitutif dont je retrouve la trace avec le geste de la main, en tenant la caméra ou le pinceau. Ce mouvement, ce tremblement révèlent, il y a rêve dans ce mot, la trace de cet oubli qui devient réalité.
Dans mes séries Silence, Peinture de guerre , ou journal, les formes s’inscrivent dans un ovale, contour de mon visage, cerné par mon empreinte digitale qui renvoie aux trous du corps ou entre la réalité du monde. Nous avons une capacité de transformation du réel inouïe. Des grottes de la préhistoire aux travaux d’artistes in situ où le geste transforme l’environnement lui-même, se pose la question de l’écran où projeter cette transformation. J’ai choisi le contour du visage parce qu’il est le lieu de l’altérité.

La captation et le trou ne sont peut-être que des images de la mémoire. Une mémoire tant personnelle, liée par exemple à l’enfance, qu’historique, par rapport à la tradition artistique. Un artiste hérite d’une tradition autant qu’il la réinvente...

Nous sommes de notre enfance, Et dès l’enfance, j’ai été attiré par ces choses étranges que fabriquent les artistes. Cela a été une expérience extraordinaire à l’adolescence de rencontrer au Louvre les oeuvres que je ne connaissais qu’en reproduction et d’être en présence de cette Aura dont parle Walter Benjamin. Quand j’ai découvert les oeuvres contemporaines, je me suis dit cette liberté, c’est pour moi.

À travers le trou, tu exprimes aussi ton journal personnel, ta vision du monde. Chaque journal est différent selon l’époque, la personnalité de l’auteur, son attachement à être plus ou moins sensible à tel événement de sa vie. Dans ton Journal en peinture, chaque toile, chaque page, nous rapporte non un fait ou des faits marquants du jour de l’auteur, mais une résurgence d’une image d’actualité ou personnelle d’il y a quelque temps. S’agit-il d’un Journal en peinture ou d’une oeuvre sur le de-voir de mémoire ? Comment situes-tu ce travail sur le temps qui passe avec l’oeuvre de Roman Opalka ou les Date paintings d’On Kawara ?

J’écris en ce moment un texte, qui est mon carnet de voyage autour de l’oeil, du langage et du temps et où j’explore les sources de la lumière dans l’art et je m’interroge : pourquoi les deux grandes périodes de l’art au XXe siècle sont-elles nommées par rapport au temps, art moderne et art contemporain ? Pourquoi rapprocher dans le langage l’art et le temps ? L’après contemporain existe-il ? Quels liens entre le temps de l’art et l’art du temps ? Le temps de l’oeuvre est universellement singulier, quand elle se crée, quand elle se regarde. Ce temps est celui de la durée du désir de la concevoir et de la durée du désir de la regarder. Il est indéfiniment indéfini. La fixité de l’oeuvre interroge la durée, scansion dans la vitesse du temps, elle est semblable à ces espaces entre les mots qui permettent la compréhension du langage. Ce temps vide de temps relie les instants. Ces morceaux d’immobilité permettent la projection d’un temps hors du temps. Le désir des pouvoirs laïques de bâtir des musées depuis deux siècles montre leur volonté de placer la protection de cette respiration hors de l’espace religieux. Le temps et temple ont une communauté de lettres. Emmanuel Lévinas dit : « il convient de rapprocher art et rêve : l'instant de la statue est le cauchemar. Non point que l'artiste représente des êtres accablés par le destin, les êtres entrent dans leur destin parce qu'ils sont représentés. Ils s'enferment dans leur destin - mais c'est précisément là l'oeuvre de l'art, événement de l'obscurcissement de l'être, parallèle à sa révélation, à sa vérité ; non point que l'oeuvre d'art reproduise un temps arrêté : dans l'économie générale de l'être, l'art est le mouvement de la chute en deçà du temps, dans le destin »

Dans la démarche propre à ta série de peinture les Visiteurs qu’on est tenté de considérer comme une nouvelle forme de peinture pariétale - il y a un mouvement étrange : le modèle accolé contre la surface de la toile, anéantit sa propre ombre et il devient une forme bidimensionnelle pour que tu puisses en tracer la silhouette. En d’autres termes, c’est le modèle lui-même qui contribue à son propre effacement, qui participe à sa propre soustraction. La présence de sa disparition sera désormais une trace qui hante à jamais la toile.

Dans cette série le corps et son ombre se rejoignent dans une même forme : la forme du corps est le corps de la forme. La personne se pose devant une surface blanche et je saisis sa position la plus habituelle dès que son attention faiblit. À la différence de l’héroïne de Pline ce n’est pas son ombre portée que je trace : mon crayon est porté directement par le contour de son corps. Le tracé terminé, le modèle se retire et laisse sur la toile le trait de son contour qui entoure son exacte surface. La présence du trait se substitue à l’absence du modèle.

Depuis le conte mythique de Plinius (cf. Historia naturalis), le support de la peinture est le mur, qui ne connaît pas les mêmes contraintes que la toile ; dans ce sens le passage capital du mur (et donc de la fresque) au retable d’autel (qui reprenait l’architecture de l’église en miniature) et surtout de cette dernière au tableau a été une réduction importante des pouvoirs expressifs. Pollock disait que la peinture murale, propre à toute sa génération, était aussi éloigné du mural que du tableau de chevalet.
Dans ta série des Visiteurs l’échelle était. 1 :1, Etant reprise par la silhouette exacte des visiteurs, comme dans d’autres séries, l’image est contenue dans un cercle qui est celui de ton propre visage. Mais dans ton dernier cycle d’écritures de lumière, les questions d’échelle et de format de la toile s’imposent de manière différente. Peux-tu nous parler des difficultés que tu as rencontrées pour trouver un format qui te satisfasse ?

En peinture, la question de l’espace du tableau, son étant du Heideggérienne, a rempli des rayons de bibliothèques, je ne vais pas en rajouter, mais je répondrais à votre question par un exemple  : j’ai nommé Mètre carré de cosmos, mesure dérisoire en regard de la dimension présupposée du dit cosmos, une série ou mes empreintes digitales font constellations d’étoiles, la toile mesure exactement un mètre par un mètre...

Ton travail vit dans le croisement de l’écriture et de l’image, dans ce qui est visible dans le langage. Par exemple le langage des sourds-muets où il est possible de « voir les voix » comme Moïse disait aux Hébreux ; l’homophonie des mots, où il y a des images qui se cachent et se révèlent.
Avec la série Écarts de mots, tu trouves des mots qui se cachent dans d’autres mots. Par exemple, tu perçois « vie » dans « vite » ; « mère » et « lui » dans « lumière ». Tu mets en valeur ces mots en créant des anagrammes, en renversant les lettres comme le faisait Lacan. Ton insistance sur l’écart des mots leur confère un nouveau sens. Quelle place donnes-tu à l’écriture dans ta peinture ?

La série Écarts de mots est un coït de l’image et du mot, Écart est le palindrome de trace. L’homophonie de certains mots empêche la perception du sens, seul le regard en permet la compréhension, il y a du savoir dans le visible.
La permutation des lettres dans les mots et leur mise en architecture dans le paysage ouvrent une autre dimension, « ouvert » est l'anagramme de « trouver ». J’aime beaucoup une expression de mon ami le philosophe Marc-Alain Ouaknin  « lire aux éclats », il y a de la clarté dans l’éclat de mot.
Dans la série Silences, j'ai travaillé sur les signes de mains qui prolongent la parole, les mains se placent dans des positions parfois étranges pour exprimer une action. La position des lettres induit aussi un sens : l'écriture hébraïque est suspendue, à la différence de l'écriture grecque qui est posée sur la ligne, la suspension permet à la lettre de tourner sur le fil comme l'acrobate sur le trapèze. Mais aussi de chuter par exemple dans le mot : « mémoire » si les lettres « m, è, r, e » chutent, il reste « m, o, i ». En hébreux la lettre tient comme une porte sur une charnière, elle n'est pas portée par le trait et peut donc ouvrir cet inter-dit, l'espace entre le dire.

Mais dans cette même série Écarts de mots, tu apposes des mots sur des vues photographiques ; ceci nous a fait penser aux happenings de John Cage où il créait des sons par accident. Reconnais-tu un rôle à l’ « accident » dans ton rapprochement entre les mots et les images ?

Oui, il y a des résonances entre le travail de John Cage et le mien, notamment par rapport à «4' 33"» pièce silencieuse pour n'importe quel (s) instrument (s) qu’il a créé en1952, où aucun son ne doit être produit. En 1981, j’ai fait un film en hommage à John Cage : Silencieuse Luminescence, une projection de lumière muette non transformée. Le projecteur, à travers l’obturateur, éclaire l’écran d’un rectangle blanc au format cinémascope ; le noir dans le cinéma n’est éclairé que par cette luminescence, pas de pellicule, le silence. La séance prend fin à la sortie du dernier spectateur de la salle, la durée du film est aléatoire puisqu’elle dépend du désir des spectateurs de rester ou de partir.
Le silence entre les mots permet la compréhension de la phrase. Ces blancs qui marquent l'inter-dit révèlent par la scansion du son des mots, la polysémie du langage.
Le rôle de « l’accident » si je l’entends comme « inconscient » est fondamental.

Dans ton texte Voir la voix à propos de ta recherche, commencée en 1997, sur le langage et la vision, tu dis : « j’ai voulu entendre différemment la sonorité des mots. Quel est l’envers du son des mots, que révèle l’envers de la parole ». Lire un texte de Marguerite Duras à l’envers et le reproduire à l’envers de l’envers, ne donne pas l’endroit : une oeuvre qui voulait montrer l’espace d’indétermination qu’il y a entre les deux, la dissociation entre le sens et la parole, les mots et la phonation, ainsi que la perte de soi dans la lecture du texte. Quelles autres possibilités nous ouvrent ces modifications du langage ?

Je fais entendre dans ce travail que l’envers de l’envers de la parole n’est pas l’endroit, il y a entre l’envers et l’endroit un espace de déformation, de dis tortion de la voix, cela module le son des mots, des mots-sons, d’émotion. Quand je chante, l’envers de ma voix, délivrée du signifié, l’émotion n’est plus guidée par le sens des mots, mais livrée aux mots-sons cristallisés dans l’inconscient. On se trouve à l’écoute d’un espace sonore où surgissent une multitude d’accentuations, une tour de Babel où apparaissent les sons de diverses langues. Le timbre de ma voix module des langues que je ne parle pas, mais leurs phonèmes raisonnent avec des idiomes existants. Nous avons dans l’ombre de nos voix la mémoire du son de langues inconnues...

Si on devait indiquer un équivalent en peinture de ce détournement du langage, il nous vient à l’esprit ton idée de dessiner avec l’autre côté du crayon. Comme si les deux pôles d’un crayon étaient la conscience et l’inconscient, comme si ce qui reste impensé dans le dessin, ce qui échappe au dessein, soit contenu dans les volutes - dans l’alphabet secret - que l’autre côté du stylo dessine dans l’air. Déjà Rauschenberg avait utilisé cette technique, notamment dans Erased de Kooning, où il a complètement gommé un dessin de Kooning. Si pour Rauschenberg le contraire de dessiner se résolvait donc dans l’effacement, ta position est, par contre, assez différente, au point que, depuis 2000, tu as commencé à écrire avec la lumière des étoiles...

Le dessin imaginaire que trace dans l’air l’autre côté du crayon ou du pinceau est d’une très grande importance même s’il s’évanouit à mesure qu’il se crée, il est comme le son des mots qui se fond dans le silence. C’est ce geste que je reproduis quand j'écris avec la lumière de la lune, du soleil, des étoiles, mais là il s’inscrit par la lumière même sur le capteur de la caméra. C’est l’envers du geste de la peinture, si ce n'est qu'ici il n'y a plus de pinceau. C'est la lumière même qui se dépose comme couleur sur le support. Ce geste de la main que l'on détermine comme la touche du peintre trace ces Écritures de lumières. Mon geste étant plus rapide que la mémoire du capteur, la lumière laisse la trace du signe dans la fusion de la vitesse de ma main et de celle de la lumière.

À propos de la lumière, Dan Flavin est un artiste qui a produit une peinture de lumière sans pinceau. Toutefois, comme tu as remarqué lors d’une conversation, quand on débranche la prise l’oeuvre disparaît, comme si on était en présence de la lumière de l’écran télé. À la même époque, la position d’un artiste comme Rothko était différente, lui pensait que dans la pénombre d’une salle d’exposition, ses oeuvres rejoignaient les conditions idéales de visibilité, comme si elles étaient de véritables sources de lumière. Peux-tu mieux expliquer dans quel sens tu utilises la lumière ?

Dans le sens de Spinoza, d’une lumière immanente qui réfléchit dans l’oeil de celui qui regarde. La réflexion c’est une circulation, elle remet en mouvement la lumière qui devient un relais d’yeux en yeux. Elle n’a besoin que de l’électricité du désir.

Jean-Luc Godard fait la distinction entre l’art de l’éclairage et l’art de la lumière. As-tu vu son film Je vous salue Marie  ? Certains plans nous ont fait penser à ton travail. Toi aussi, il y a comme une quête de retourner à l’origine et de ne pas faire appel au trucage, au truc...

Oui, j'ai vu ce film. L'oeuvre de Jean-Luc Godard est très importante. Cette volonté de ne pas utiliser le trucage, ces trucs qui tendent à limiter la spontanéité du geste si cher à la nouvelle vague. En peinture, le geste de la main est fondamental, il est proche de celui de l'écriture et peut produire des lapsus comme la parole, c'est d’ailleurs ce qui rend les écritures toutes différentes et les lapsus si intéressants. Pourquoi les masquer avec des trucs ?

On n’a pas suffisamment réfléchi au passage d’un médium artistique à un autre - comme dans ta série Écritures de lumière, de la vidéo à la photo. Travailler sur plusieurs médiums à la fois comporte une perte et un gain : l’appareil technique ne peut qu’enregistrer certaines informations, en simplifiant le geste trop rapide de la main. Mais à travers ce même passage, il fait ressurgir un inconscient visuel, comme si l’impensé du geste était dévoilé par les imperfections techniques. Quel rapport tu établis avec ces instruments ? Reconnais-tu ce rôle de dévoilement des capacités expressives ?

Le geste de la main n’est ni trop ni pas assez rapide il est.
Digit en anglais signifie le chiffre il nous renvoie au digitus latin qui veut dire le doigt, c’est l’origine de l’image digitale. Je peins souvent avec mes doigts, le passage au digital est donc pour moi une évidence. Cette révolution digitale permet d’utiliser l’image photographique avec les libertés de la peinture, curieux basculement de l’histoire. Quand le lundi 19 août 1839, Arago présente à l’Académie des Sciences les procédés photographiques de Daguerre, un peintre de l’Institut fait une déclaration solennelle à ses étudiants dans l’amphithéâtre des Beaux-arts : « Messieurs j’ai une triste nouvelle à vous apprendre : la peinture est morte ».
En ce début de millénaire, la peinture est bien vivante et je peins aujourd’hui directement avec la lumière.

Utiliser la lune pour créer des écritures du temps est une sorte d’hyperbole du passage du temps, la lune, par rapport au soleil, change de forme. De même qu’enregistrer les reflets de la lune sur l’eau est une hyperbole du mouvement : du bras et de la main qui mime le geste du peintre sur la toile, comme du flottement de l’eau qui décompose la forme de la lune. Et pourtant tu considères la peinture comme le « temps du désir intemporel »...

C’est très bien vu, c’est ça, l’oeuvre c’est le temps hyperbolique du désir.

Au travers de tes oeuvres, nous percevons de nombreuses références qui ne sont pas strictement liées à l’histoire de l’art, comme la Kabbale, la psychanalyse, la lecture d’Edmond Jabès, qui aujourd’hui semble quelque peu oublié en France, sans omettre tes échanges avec le philosophe Marc-Alain Ouaknin. Quel rôle ont ces références symboliques dans ton oeuvre ? Du reste, la Kabbale ne peut pas être simplement considérée comme le contenu de la peinture, son subject matter comme disaient les Expressionnistes Abstraits. Il ne s’agit pas de représenter, de mettre en image la Kabbale...

Dans le livre du Zohar (III,127b), qui est un livre essentiel de la Kabbale, Rabbi Siméon s’est mis à pleurer et a dit : « Malheur à moi si je révèle ces mystères et malheur à moi si je ne les révèle pas. »

Nous avons tendance à croire que tous les dix ans se succède une génération différente d’artistes qui contredit la précédente. À l’encontre d’une démarche historique se substituent désormais les oscillations du goût et du marché. À ce propos, nous avons trouvé intéressante ta rencontre avec le préhistorien Leroi-Gourhan en 1984 qui avait une manière assez différente de considérer les ruptures et la continuité dans la succession historique. Selon lui, tu disais, à Nathalie Ergino, « les cycles artistiques ont trois à quatre mille ans ». Ce nouveau regard sur le passé et quelle est aujourd’hui ta position par rapport à la peinture ?

Depuis les peintures des grottes, cela fait 35 000 ans, l’homme inscrit sa trace. Il me paraîtrait extrêmement présomptueux de dire qu’il en serait fini de la peinture. Ma rencontre avec André Leroi-Gourhan a été importante, j’étais un tout jeune artiste de 22 ans, quand je suis allé, en 1984, le rencontrer au collège de France pour la revue l’Art vivant. Après m’avoir montré des photos d’oeuvres pariétales, il m’a dit : « quand une civilisation disparaît, il ne subsiste que deux témoignages : celui de l'Art et celui des techniques. L’Art, je le suppose, est apparu au même moment que le langage dont on ne sait plus rien, c’est vous les artistes qui créez notre mémoire ».

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